Des milliers d'Allemands se rassemblent chaque semaine contre l'« islamisation de l'Occident », à Dresde, à l'appel de l'extrême droite. Les slogans rappellent ceux des opposants à la RDA, en 1989.

Pegida, le mouvement des « patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident » a réussi son pari. Lundi 15 décembre, au moins 15 000 personnes ont participé à sa neuvième manifestation hebdomadaire dans les rues de Dresde (Saxe). Elles étaient 10 000 la semaine précédente et à peine 200 lors du premier rassemblement, le 20 octobre. 

Si, à deux kilomètres de là, les « antinazis » emmenés par les deux co-présidents des Verts, Cem Özdemir et Simone Peter, ont mobilisé environ 6 000 personnes, la dynamique est incontestablement du côté de Pegida. Qu'il n'y ait que 2,1 % d'étrangers en Saxe et seulement 0,1 % de musulmans ne semble gêner personne sur le vaste terrain vague réquisitionné pour l'occasion.

« Pegida crée un peu de désordre »

« Nous venons parce qu'il y a trop de problèmes en Allemagne. Nous avons peur pour l'avenir de nos enfants. D'ailleurs, nous avons dû les mettre à l'école privée », témoigne un jeune couple de commerçants venu de Berlin et drapé dans un drapeau allemand. « Je n'ai rien contre les étrangers. Je suis fonctionnaire à la retraite, mais j'en ai marre de voir les impôts me prendre une partie de ma pension alors que l'argent n'est pas bien dépensé. Et au moins, Pegida crée un peu de désordre dans le système. N'oubliez pas que 50 % des gens ne votent pas aux élections », rappelle un sexagénaire. « Je suis venue pour la paix. C'est pour cela que j'ai une bougie, comme il y a vingt-cinq ans quand je manifestais pour la chute du Mur », explique une petite dame dans un élégant manteau.

Alors que les nombreux jeunes gens au crâne rasé refusent de parler aux journalistes, les pancartes brandies sont explicites : « Stop à l'immigration dans le système social »« Non à la haine, à la violence, au Coran »« Non à un gouvernement va-t-en-guerre »« OTAN, droit d'asile, Europe : un référendum ». Dans le défilé qui clôt la manifestation, deux phrases reviennent en boucle : « La presse ment » et « Nous sommes le peuple », le slogan des opposants à la RDA en 1989.

« AVANT, ON NE DÉFILAIT PAS AVEC LES NÉONAZIS. UN TABOU EST PEUT-ÊTRE EN TRAIN DE TOMBER », OBSERVE LE CHERCHEUR FABIAN VIRCHOW, DE L'UNIVERSITÉ DE DÜSSELDORF

A la tribune, le fondateur de Pegida, Lutz Bachmann et deux jeunes femmes galvanisent la foule, faisant siffler les noms de responsables politiques, se demandant pourquoi « on ne peut pas se dire de droite », ni « être fier de son identité allemande » et expliquent que « ce n'est pas être nazi que de vouloir le respect des lois ». Une affirmation audacieuse dans la bouche de Lutz Bachmann : à 41 ans, cet ancien cuisinier reconverti dans la communication a fui en Afrique du Sud pour échapper à la justice qui l'avait condamné à trois ans et huit mois de prison pour divers délits.

Après son extradition en Allemagne et un séjour de deux ans derrière les barreaux, ce partisan de la « tolérance zéro » pour les immigrés qui commettent des délits s'est fait à nouveau condamner pour détention de 40 grammes de cocaïne et est actuellement en liberté conditionnelle. Les manifestants ne semblent pas se faire d'illusion. Pour eux, l'important est que Lutz Bachmann est celui qui fait le mieux passer le message à Berlin « que ça ne va pas ».

Parties de Dresde, des manifestations de ce type gagnent depuis quelques semaines tout le pays : Düsseldorf, Cologne, Berlin, Wurtzbourg, Cassel, Bonn. Le scénario est souvent le même. Un groupuscule d'extrême droite, souvent un « Pegida » local, appelle à des manifestations contre de nouveaux foyers pour réfugiés et, fait nouveau, les citoyens « ordinaires » sont de plus en plus nombreux à répondre présents. « Avant, on ne défilait pas avec les néonazis. Un tabou est peut-être en train de tomber », observe le chercheur Fabian Virchow, de l'université de Düsseldorf dans la Süddeutsche Zeitung. A Cologne, 5 000 personnes ont répondu le 26 octobre à l'appel des « hooligans contre le salafisme », un succès qui a pris les responsables politiques de court. Le nouveau parti anti-euro, Alternative pour l'Allemagne (AfD), sert de passerelle et soutient ouvertement Pegida, renforçant sa crédibilité.

Parallèlement aux manifestations, on recense de plus en plus d'attaques contre les foyers qui abritent des réfugiés. En neuf mois, la police a recensé 86 tentatives d'incendies ou inscriptions de croix gammées sur les murs contre 58 pour toute l'année 2013 et 24 en 2012.

« Honte pour l'Allemagne »

La société civile se mobilise contre ces manifestations. A Berlin, à Düsseldorf, à Bonn et jusqu'à la semaine dernière à Dresde, les contre-manifestants sont presque toujours plus nombreux que les « pegidistes ». Dans une Allemagne devenue en 2013 le deuxième pays d'immigration de l'Organisation de coopération et de développement économiques après les Etats-Unis, les dirigeants des partis traditionnels s'inquiètent et se divisent.

Angela Merkel a répété lundi 15 décembre qu'il n'y avait pas de place en Allemagne pour « l'incitation à la haine et la calomnie » envers les étrangers. Mais, pour avoir qualifié ces manifestations de « honte pour l'Allemagne », Heiko Maas (Parti social-démocrate), ministre de la justice, a été critiqué par l'Union chrétienne-sociale (CSU, conservatrice) bavaroise. Ce parti lui reproche de « gravement dénigrer des gens qui manifestent pacifiquement pour faire part de leurs soucis ». Il y a dix jours, la CSU a été au centre d'une polémique pour avoir voulu – avant de faire marche arrière – encourager les étrangers à parler allemand, y compris chez eux.

Longtemps peu touchée par la montée de l'extrême droite, l'Allemagne doit maintenant faire face à un cocktail qui pourrait être explosif. Sur fond de croissance économique très faible, l'afflux de réfugiés ou d'immigrants attirés par le « miracle allemand » souligne à la fois la frustration des « laissés-pour-compte » de ce même « miracle » et les difficultés que soulève depuis des années l'intégration des étrangers.