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lundi 22 décembre 2014

Joué-lès-Tours, Dijon : «L'islamisme radical est devenu le véhicule de tous les déséquilibrés» Par Eugénie Bastié, Le Figaro 22/12/2014

INTERVIEW - C'est en criant «Allah akbar» que, dans le même week-end, un chauffard a fauché 13 personnes, un autre a attaqué un commissariat. Ces affaires sont-elles comparables ? Réponse d'Hugues Moutouh, ex-conseiller au ministère de l'Intérieur et spécialiste du terrorisme.

LE FIGARO. - Ces deux affaires vous paraissent-elles comparables?

Hugues MOUTOUH*. - Le point commun de ces affaires est la figure du loup solitaire, c'est-à-dire de personnes isolées (même si il peut y avoir des complicités), décidant de leur propre chef de commettre un attentat sans en référer à une hiérarchie, et sans être rattachées et financées par une organisation. 

Les affaires récentes (aux États-Unis, à Sydney, en France) montrent une mutation du terrorisme global. On est passé de l'islamo-délinquance à l'islamo-psychiatrie. De plus en plus de ces attaques sont conduites par des individus fragiles psychologiquement, souffrant de défaillances mentales. Ce public fragile est réceptif aux appels au meurtre de l'Etat islamique. 

Est-ce à dire que l'islam n'est qu'un prétexte à la violence?L'islamisme radical est devenu le véhicule de tous les déséquilibrés qui n'attendent qu'un prétexte pour passer à l'acte. Mais attention, cela ne signifie pas qu'il faille réduire le phénomène à une simple dimension psychiatrique. Le terrain favorable est une conjonction de plusieurs facteurs: un milieu propice à la réception d'un discours islamiste radical conjugué à un profil psychiatrique déséquilibré. Les individus doivent être un minimum politisés, sensibles à un discours antisémite ou à l'importation du conflit israélo-palestinien. Mais il faut bien comprendre que l'islam radical n'est pour ces gens qu'une idéologie d'emprunt, un prétexte pour basculer dans la violence. 

Comment a évolué la menace terroriste depuis le 11 septembre?

Ces nouveaux terroristes n'ont rien à voir avec ceux du 11 septembre. Les attentats de 2001, comme ceux de 2004 à Madrid et ceux de 2005 à Londres relevaient de l'action terroriste classique, telle qu'elle s'est développée au XXe siècle. Il s'agissait d'actions planifiées, financées en amont, pratiquées par des hommes entrainés pendant des mois. Ce mode d'action ne différait pas de celui des organisations terroristes séparatistes (ETA..) ou de mouvement politiques (Action directe..). Ensuite, le terrorisme global est entré dans une seconde phase, celle de la régionalisation. Al-Qaida s'est décliné en «franchises» pour commettre ses actions aux quatre coins du monde. Mais, depuis 2005, en Occident, il n'y a eu aucun attentat à la bombe de grande ampleur. On est entré depuis dans une troisième phase, celle des «loups solitaires» (lone wolf en anglais). Leur doctrine a été élaborée dans les années 1990 par le FBI pour désigner aux États-Unis les attaques terroristes des suprémacistes blancs (type Oklahoma City en 1995). Cette stratégie a été reprise très tôt dans les discours islamistes. 

Le loup solitaire est une adaptation du terrorisme à la lutte antiterroriste. L'objectif du loup solitaire est de sortir des radars du contrôle globalisé. Avec le contrôle tous azimuts des flux financiers, il est devenu de plus en plus difficile de faire financer un attentat de grande ampleur par une organisation terroriste. Le recours à l'autofinancement permet d'échapper à la traque. Merah braque une bijouterie quelques jours avant de commettre son attentat: c'est bien plus discret qu'un transfert d'un compte qatari ou saoudien. 

Ces affaires récentes sont-elles comparables à l'affaire Merah? 

Mohamed Merah n'était pas fou, mais l'enquête a révélé qu'il avait le profil d'un tueur en série psychopathe. Dans le cas de l'affaire Merah, on avait affaire à des attentats ciblés, élaborés et planifiés, comme dans le cas de Nemmouche en Belgique. Contrairement à ce semi-professionnalisme, à Joué-lès-Tours et à Dijon, on atteint le paroxysme du loup solitaire: n'importe qui peut attaquer un commissariat ou prendre sa voiture et foncer en criant «Allah akbar». Ces personnes sont totalement imprévisibles, et leurs actions sont impossibles à anticiper. On était bien loin d'imaginer que des déséquilibrés puissent prendre au pied de la lettre les appels de l'Etat islamique. Cela rend possible des vagues de meurtres à répétition. Les forces de l'ordre deviennent des cibles, on peut craindre des enlèvements…

Comment la France peut-elle faire face à cette mutation de l'action terroriste? 

Personne n'est équipé pour répondre à une menace par essence imprévisible et diffuse. Il faut un travail de détection extrêmement précoce, qui exige un débat public sur les moyens que nous voulons mettre en œuvre pour contrer le terrorisme. Aujourd'hui, le travail de détection est assez efficace, mais le suivi l'est beaucoup moins. Il faut 25 personnes pour surveiller un individu 24 heures sur 24. La question est celle de l'internement préventif des individus dangereux. Sommes-nous prêts à renoncer à une partie de nos libertés individuelles pour assurer l'ordre public? Ce sera tout le débat des années à venir. Mais de toute façon, la réponse policière, si elle est indispensable, ne sera pas suffisante. La lutte contre le terrorisme est aussi un enjeu social. 

* Hugues Moutouh a été conseiller spécial du ministre de l'Intérieur. Il est désormais avocat. Il est l'auteur de 168 heures chrono: la traque de Mohamed Merah.


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