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mercredi 17 décembre 2014

Muhammad ou George : bataille de prénoms en Grande-Bretagne Par Philippe Bernard, Le Monde le 17 décembre 2014

Un sondage du « Daily Mail » prétend que le prénom Muhammad serait en train de détrôner les tradionnels George, Oliver ou Jack. La polémique est ouverte.
"Damned !", entre 2013 et 2014, les prénoms George (celui du "royal baby", dernier-né des Windsor), Oliver ou Jack seraient délaissés au Royaume-Uni au profit de Muhammad, selon un sondage du Daily Mail, qui fait polémique.

"Damned !", entre 2013 et 2014, les prénoms George (celui du "royal baby", dernier-né des Windsor), Oliver ou Jack seraient délaissés au Royaume-Uni au profit de Muhammad, selon un sondage du Daily Mail, qui fait polémique. | LEON NEAL/AFP

Lettre de Londres.Périodiquement, la même information fait trembler le Royaume-Uni : Muhammad y serait le prénom le plus couramment donné aux nouveau-nés de sexe masculin. Le tabloïd Daily Mail s'en est à nouveau ému, début décembre, pointant « une énorme poussée dans les prénoms arabes » au détriment des classiques Oliver ou Jack. Entre 2013 et 2014, le nom du Prophète a gagné vingt-sept places au classement des prénoms les plus choisis par les parents, tandis que Omar, Ali et Ibrahim faisaient leur entrée au « top 100 ».

L'article avait beau être illustré par deux petits pieds de nourrisson se tortillant dans une couverture de laine, le message était clairement alarmant. L'information, selon ­laquelle les parents britanniques boudaient George, pourtant choisi pour baptiser le royal baby, était traitée bien plus succinctement. De même, l'engouement pour les ­prénoms Emilia et Daenerys, actrice et héroïne de la ­série « Game of Thrones », était jugé bien moins significatif que ce nouveau signe ­prétendu d'islamisation de la société britannique.

« L'Angleterre est fichue »

Les lecteurs du Mail ne s'y sont d'ailleurs pas trompés. « Ils sont seulement 4 % de la population, et Muhammad est tout de même le prénom le plus populaire : l'Angleterre est fichue ! », a commenté l'un d'eux. « C'est une honte que notre gouvernement laisse faire », s'est étranglé un autre, avant que le journal ne ferme un forum en plein dérapage.

Certains journaux ont dénoncé une « manipulation » : le classement plaçant en tête Muhammad résultant d'un simple sondage effectué parmi 56 000 parents volontaires par le site Babycentre, consacré à l'information sur la naissance et la petite enfance.

Les dernières statistiques de l'état civil pour 2013, les seules à donner une vue exhaustive, relèguent le nom du Prophète au 15e rang en Angleterre et au 52e en Ecosse. Elles placent Oliver, Jack et Harry largement en tête, avec chacun moins de 2 % du total. En fait, si Muhammad perce relativement (0,5 % en 2013), c'est d'abord en raison de la coutume, de plus en plus en vogue, consistant à donner à tout fils aîné le prénom de Muhammad, en Grande-Bretagne comme dans tout le monde musulman.

Mais le débat n'était pas clos pour autant : pour justifier son titre accrocheur, le Daily Mailavait agrégé toutes les transcriptions de l'arabe pour Mohamed, depuis Muhammad jusqu'à Mohammed, alors que le recensement les comptabilise comme s'il s'agissait de prénoms différents. Certains n'ont pas manqué d'y voir une volonté maligne de masquer un phénomène sensible. Un porte-parole du Centre arabe de Grande-Bretagne a jugé cette dissociation « injuste ».

D'autres ont fait remarquer que l'on pouvait aussi obtenir des résultats différents en confondant Oliver avec sa variante Ollie ou Harry avec Henry. L'intérêt de cette discussion dépasse évidemment la conversation sans fin sur le charme de tel ou tel prénom ou les modes en la matière. Quel poids a l'islam au Royaume-Uni ? Telle est la question à peine masquée derrière la bataille d'Oliver contre Muhammad.

« La religion, source de préjugés »

La montée de ce dernier prénom est souvent interprétée comme le signe le plus tangible d'une préoccupante évolution démographique. Selon le recensement de 2011, qui comportait une question sur la religion (à laquelle 7 % des personnes ont choisi de ne pas répondre), l'Angleterre et le pays de Galles comptent 4,8 % de musulmans, mais cette proportion s'élève à 9,1 % parmi les 0-5 ans.

Ce dynamisme démographique est tempéré par un biais statistique : 34 % des enfants de moins de 5 ans ont été déclarés « sans religion » par leurs parents, renforçant le poids relatif des autres. Selon les projections de l'institut Pew, la présence musulmane au Royaume-Uni devrait se renforcer relativement à l'avenir pour atteindre 8 % de la population en 2030.

L'affaire des prénoms renvoie aussi à l'analyse de Nabil Khattab, sociologue à l'université de Bristol, selon laquelle « la religion est davantage source de préjugés que la couleur de la peau ». Les musulmans, « perçus comme déloyaux et menaçants », sont aujourd'hui, dans la société britannique, les premières victimes de discrimination pour l'accès à l'emploi, a-t-il établi. Quant aux agressions islamophobes, elles connaissent une recrudescence depuis l'assassinat en plein Londres, par deux islamistes, du soldat Lee Rigby en 2013.

Mais la « crise de l'identité britannique », thème récurrent dans le débat public actuel, est loin de se limiter à la place de l'islam. Le référendum sur l'Ecosse a largement alimenté l'inquiétude ; l'avenir du lien avec l'Union européenne, en permanente discussion en attendant un éventuel référendum, questionne aussi la britishness à laquelle Muhammad et Mohamed sont appelés à contribuer.

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